Cet essai fut élaboré et écrit pour être diffusé au format audio et vidéo. Les écrits suivants en constituent donc le script. Pour écouter et/ou visionner l'essai complet, rendez-vous sur ce lien.
TW! mention de déshumanisation des femmes et personnes racisées, objectification, non-consentement, esclavage, eugénisme, validisme et violences.
Retour sur la création de la psychiatrie et son utilisation pour "gérer les insupportables" de la société : celleux qui sortaient du rang en tant que personnes destinées à être dominées et marginalisées. Encore une fois, la réflexion est systémique. Merci de ne pas décider d'arrêter vos médicaments d'un coup après le visionnage de cet essai. Dans notre société actuelle, il est nécessaire pour beaucoup d'entre nous de se faire aider et/ou d'avoir recours à une médicamentation. C'est plutôt une prise de conscience et une réforme du système qui est nécessaire.
Le but de cet essai est d'informer, sensibiliser, apporter une réflexion alternative et pousser à l'exercice de l'esprit critique de chacun-e. Gardez également en tête que mon avis est forcément orienté par mes expériences et identités. Et ce même si j'utilise des fais chiffrés et articles sérieux pour appuyer ma réflexion. _________________
Je réfléchissais au processus de diagnostic, comme souvent, et à ma peur que des diagnostics officiels puissent un jour menacer mon intégrité physique et mentale (en plus des discriminations quotidiennes et micro-agressions).
En voyant ce qu’il se passe en ce moment aux États-Unis avec les lois anti-transgenre et discours psychophobes, je m’inquiète réellement de la tournure que notre société va prendre.
En tant que personne afro-descendante, LGBTQ, assignée femme, autiste et ayant plusieurs troubles psys, je ne peux m’empêcher de penser qu’avoir un gouvernement qui est au courant de mes identités et diagnostics est un danger potentiel.
Personnellement, le système psychiatrique me dégoûte profondément pour plusieurs raisons qui s’entrecroisent. Le but des hôpitaux psychiatriques est de réhabiliter ses résidents, les “patients” à réintégrer la société pour y être productif. De bons petits soldats du capitalisme. Et ce, souvent à grands renforts de médicaments. Lorsque cela ne fonctionne pas, on augmente les doses jusqu’à endormir lae patient-e. Transformer en légume, pour ne plus qu’iel pose de problème et soit plus facile à gérer. Puis iel finit sa vie en HP, reclus-e du reste du monde.
Si les médicaments peuvent être nécessaires, ils ne devraient pas être imposés de force aux patient-es qui restent des êtres humains, et devraient être proposés dans le but d'aider et non d'abrutir la personne pour soulager son entourage et le personnel soignant.
Et je ne m’étalerais même pas sur le sexisme orientant les diagnostics (jusqu’à il y a peu de temps, les femmes autistes étaient diagnostiquées bipolaires ou ayant un BPD par pure méconnaissance et misogynie), l’infantilisation et les violences qui ont lieu dans ces institutions.
C’est alors que j’ai découvert les travaux de Walter Freeman, un psychopracticien et chirurgien cérébral pro-lobotomie. Il affirmait que la lobotomie permettait de “soigner” certaines maladies mentales.
Mais qu’est-ce qu’une lobotomie ?
Une intervention chirurgicale qui consiste à sectionner et retirer une portion du cerveau. Elle fut inventée par Egas Moniz, neurologue et homme politique portugais, prix Nobel de médecine en 1949.
Dans un article publié en 2017 par le média TV5 Monde, on peut lire que :
Vous avez repéré le nom Walter Freeman, on y revient juste après, mais d’abord :
LA PSYCHIATRIE COMME OUTIL DE LA DOMINATION MASCULINE
Ok. Enfin pas Ok parce que ce n'est pas acceptable, mais c'est une piste de réflexion.
Entre 1935 et 1985, sur tous les patients lobotomisés en Belgique, France et Suisse, 84% étaient des femmes.
Les raisons ? Soigner des pathologies psychiatriques comme des dépressions avec tentatives de suicide, des adaptations sociétales difficiles (neuro-atypies hmmm), des troubles compulsifs, etc. Les scientifiques à l’origine de l’étude expliquent que pour ces pathologies, il n’existe aucune prévalence particulière chez les femmes. Donc pour expliquer cette majorité féminine, mieux vaut se pencher sur le statut de la femme à l’époque régi par le code civil de 1804.
La première lobotomie sera effectuée sur une femme de 63 ans, ancienne prostituée souffrant de “mélancolie et idées paranoïaques”, et ce, sans son consentement.
Le statut de la femme à l’époque faisait que personne n’allait protester, surtout pas elle après la procédure d’ailleurs. Socialement, le corps des femmes était davantage considéré comme disponible à l’expérimentation. Et un mari pouvait d’ailleurs demander une intervention chirurgicale pour son épouse, sans son consentement clair.
Et cela vient du statut légal de la femme, mais aussi de la misogynie ambiante.
Je parlais de misogynie dans les diagnostics plus tôt. Finalement, on va s’y attarder un peu plus.
On sait toutes et tous que le terme “hystérie” a tendance à être utilisé à tort et à travers dès qu’une femme sort des rangs. C’est exactement ce qu’il s’est passé, et se passe encore, dans le domaine psychiatrique. Lorsque l’on observe les statistiques de prises en charge psychiatriques, les filles sont plus souvent internées que les garçons. On a tendance à penser qu’un garçon instable voir violent est un bad-boy. Il souffre à cause de ses fréquentations, de son passé, de sa famille, etc. Une fille, c’est différent. C’est un danger social et un problème mental à traiter.
“Avec l'idée générale que l’objet à traiter c’est le corps. Un corps problématique, dangereux, malsain dévié d’une certaine manière de sa finalité qui est de donner la vie, de procréer.”. Mauvaises filles - David Niget et Véronique Blanchard
Des enfants ont aussi été lobotomisés dans le but de “restaurer ou maintenir la paix dans les foyers”.
Je rappelle qu’une lobotomie laisse des séquelles et handicaps lourds, et que les victimes (du coup) étaient non-consentantes. Et qu’il y en avait beaucoup qui ne survivaient pas l’opération.
Donc on voit bien que la lobotomie est toujours d’actualité comme je disais plus tôt. Aujourd’hui, elle est juste chimique et donc moins choquante, moins invasive, plus insidieuse.
LA PSYCHIATRIE COMME INSTRUMENT DE DOMINATION SUR LES PERSONNES RACISÉES
Walter Freeman, dans les années 1950, décide de concentrer ses recherches et son travail sur la lobotomie aux Etats-Unis, et, en particulier sur les afro-américains.
C’est étrange car d’un côté il a milité pour que les afro-américains puissent être acceptés comme membres à part entière de l’ordre des médecins de son état (District of Colombia), mais en même temps il avait des biais racistes qui influençaient fortement sa vision et sa façon de voir la psychologie des personnes noires.
Par exemple, après avoir opéré des afro-américains en 1952, il a déclaré “seulement une ou deux semaines après l’opération sur vingt Nègres très dangereux, j’en ai vu quinze tranquillement assis sous un arbre avec seulement un garde nécessaire pour les surveiller”.
Alors, qu’il s’était porté volontaire pour expérimenter des techniques de lobotomie sur des patients noirs en Alabama, et que des membres du staff ont protesté en disant que c’était une procédure à bannir chez eux, il a déclaré que “the whole Negro-rescue plan had to be cancelled”.
Dans le même temps, les femmes sont devenues des cibles de choix pour lui. Sur ses 20 premières lobotomies, 17 étaient des femmes.
Comme en Europe, alors même qu’il y avait légèrement plus d’hommes en HP, 60% des lobotomies étaient faites sur des femmes, pour les mêmes raisons que celles citées précédemment : préjugés misogynes et place inférieure de la femme dans la société.
Ici, on parlera de misogynoir (forme de misogynie - théorisée par Moya Bailey - propre aux femmes noires puisque celles-ci se retrouvent à l'intersection entre deux systèmes de domination : le sexisme et le racisme). Les femmes noires sont considérées plus agressives que les femmes blanches en raison d’un mélange de préjugés racistes et sexistes. Elles sont donc un problème à régler en ce sens.
Rentrons un peu plus dans la psychiatrisation des noirs-américains.
La plupart des HP du Sud des Etats Unis pratiquaient des politiques de séparation des noirs et des blancs. Les experts pensaient que la présence des deux races sous le même toit pouvait affecter négativement la santé mentale et les progrès des blancs.
Les noirs étaient donc souvent logés dans des bâtiments séparés, souvent dans des prisons voisines.
Sur le sujet, je recommande l’article de DeepTalk (Kaina) “anti-psychiatrie et anti-carcéralisme”. Elle y fait le lien entre prison et psychiatrie et explique comment on ne peut pas vouloir réformer le système carcéral sans réformer aussi le système psychiatrique.
À l’époque d’ailleurs, les patients noirs étaient souvent appelés “inmates”, “détenus” en français. Le terme utilisé pour les prisonniers quoi. Lourd de sens.
Beaucoup des patients noirs détenus, souvent mineurs et des enfants, étaient forcés à travailler au sein des HP. Ils étaient aussi souvent victimes de mauvais diagnostics ou accusés de crimes qu’iels n’avaient pas commis.
Aujourd’hui, on a des vestiges de tout cela dans le manque de confiance des personnes noires à l’égard de la médecine.
Puis, au début du XXème siècle, les afro-américains neuro-atypiques ont fait les frais de la pensée eugéniste de l’Europe des années 20, qui arrivait aux US.
Il ya alors eu des vagues de stérilisations destinées aux communautés afro-américaines.
Dans les années 1930 jusqu’aux années 1970, il ya également eu des vagues de lobotomie pour maitriser les noirs-américains qui apparaissaient déviants.
Ce n’est que récemment que l’on a commencé réellement à prendre en compte l’aspect socio-économique et politique comme facteur important dans la santé mentale des noirs américains : pauvreté, racisme, violence, identité considérée comme inférieure, discriminations, etc.
LES MALADIES MENTALES N’EXISTENT PAS DANS LA COMMUNAUTÉ NOIRE ?
Le capitalisme pathologise les divergences pour mieux les maitriser et les controller.
En Afrique pré-coloniale, mais aussi dans de nombreuses civilisations autochtones (natives d’Amérique par exemple), ce qui est aujourd’hui considéré comme un trouble, était accepté. Les personnes étaient acceptées comme des membres fonctionnels de la communauté : chaman notamment avec les personnes non-binaires, avec des troubles dissociatifs, schyzophrénie, etc. Et je ne dis pas ici que tout est acceptable et à accepter bien entendu, en particulier lorsque la sécurité de la personne ou de celles qui l'entourent sont en jeu, simplement qu'il existe des points de vue alternatifs et que la stigmatisation n'a pas à être systématique.
Les maladies mentales sont dans une certaine mesure créées par les classes dominantes pour mieux encadrer, exploiter et dominer les classes marginalisées :
Sources et Ressources :
- "La Violence des Pères", "L'auto-défense des enfants" et "L'école de la violence", Un Podcast à Soi, Arte, https://www.arteradio.com/son/61676203/quand_les_peres_font_la_loi
- "Prison et psychiatrie", Kaina Djaé, https://medium.com/@kainadjae31/prison-et-psychiatrie-%C3%A0-lintersection-505e3fd3db
- "Mental illness in the black community, 1700-2019 : a short history", Uchenna Umeh, Black Past, https://www.blackpast.org/african-american-history/mental-illness-in-black-community-1700-2019-a-short-history/
- "Race and gender in the selection of patients for lobotomy", Jack El-Hai, https://jack-el-hai.medium.com/race-and-gender-in-the-selection-of-patients-for-lobotomy-b80ce4812663
- "Durant 50 ans, 84% des lobotomies furent réalisées sur des femmes, en France, Belgique et Suisse", Lynda Zerouk, https://information.tv5monde.com/terriennes/durant-50-ans-84-des-lobotomies-furent-realisees-sur-des-femmes-en-france-belgique-et#:~:text=La%20lobotomie%20est%20une%20intervention,Nobel%20de%20m%C3%A9decine%20en%201949
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