! Avertissement : cette analyse littéraire et sociale n'est aucunement une critique ou une attaque envers quelconque religion, il s'agit simplement d'une étude de littérature comparée mettant en parallèle un roman du XXème siècle ainsi qu'un extrait de la Genèse, et ce en tant que textes littéraires et sociaux, non en tant que textes pro ou contre religion. Bonne lecture.
!CW drogue, suicide, religion (lié au roman d'Huxley et aux personnages)
« The world’s stable now. People are happy, they get what they want, and they never want what they can’t get. They’re well off; they’re safe; they’re never ill; they’re not afraid of death; they’re blissfully ignorant of passion and old age.». C’est ainsi que Mustapha décrit la société dans Le meilleur des mondes au début du chapitre 16. Pour lui, il s’agit du meilleur monde possible car il est stable et empli de joie et de bonheurs simples : à l’image du jardin d’Éden créé par Dieu dans la Genèse.
Le roman Le meilleur des mondes, publié par Aldous Huxley en 1932, dépeint une société située dans approximativement 500 années dans le futur. Là-bas, toustes les humain-es sont fabriqué-es industriellement, iels ne naissent pas naturellement. Cette fabrication permet de manipuler la génétique des êtres humains et de mettre en place un conditionnement psychologique avant même leur venue au monde. Il en résulte une société où tout le monde trouve sa place, reste soumis-e aux règles et est heureux-se. Les émotions négatives telles que la tristesse, la souffrance ou la peur sont absentes. Aucune religion n’existe mais la mort n’est aucunement redoutée pour autant. De plus, les relations sexuelles sont fréquentes et toujours dépourvues d’amour. Lorsqu’une personne commence à éprouver un semblant d’émotions négatives, elle a recours à une drogue : le soma.
Le roman met en scène la confrontation entre ce nouveau monde et les vestiges de l’ancien. Le personnage principal est celui de John, un enfant né naturellement dans le nouveau monde. N’ayant pas été formaté industriellement, il est en déconnexion totale avec « le meilleur des mondes » présenté dans le roman.
Dans le texte utopique d’Aldous Huxley, les hommes, et plus particulièrement le gouvernement, utilisent la technologie pour contrôler la population d’un point de vue biologique, psychologique et émotionnel. L’État mondial, cette entité supérieure et non-identifiable considère la recherche de vérité comme une menace et préfère se concentrer sur le bonheur et la stabilité. Une incompatibilité entre vérité et bonheur existe dans Le meilleur des mondes, tout comme elle existe dans le jardin d’Éden créé par Dieu. En effet, le fruit de la connaissance consommé par Adam et Ève est la cause de leur expulsion du jardin utopique divin et la cause de tous leurs malheurs. Prendre conscience de la vérité, c’est donc renoncer au bonheur.
Dans la création de la société utopique de Huxley, tout comme dans la création du monde par l’Éternel Dieu, la vérité est opposée au bonheur. De plus, tout comme l’Éternel Dieu unique (ou certaines institutions religieuses qui oeuvrent en son nom), l’État mondial s’efforce de contrôler les humains et d’effacer leurs individualités pour qu'iels aient toustes le même but de vie. La société créée dans Le meilleur des mondes, semble par bien des aspects, se rapprocher de la société première créée par Dieu dans le mythe de la Création dépeint dans la Genèse.
Quels parallèles peut-on faire entre le mythe de la création présent dans la Genèse et la création du meilleur des mondes dans le roman d’Aldous Huxley ? Dans quelle mesure la création d’un monde parfait est-elle faisable sans l’intervention de Dieu ?
I. Une utopie qui vire à la dystopie
a) Le contexte de l’époque
Le meilleur des mondes est écrit en 1931 et publié en 1932. A sa sortie, l’accueil n’est pas unanime : beaucoup critiquent l’œuvre pour son intrigue perçue comme trop minimaliste et fragile.
Le climat des années 1930 est marqué par la montée du fascisme d’un côté et les mouvements révolutionnaires de l’autre. Le monde est plongé dans une crise économique depuis le krach boursier de Wall Street survenu en 1929. C’est pendant cette période que de nombreux intellectuels tentent d’expliquer la crise économique, sociale et politique à laquelle ils font face et de proposer des solutions alternatives.
C’est dans ce contexte qu’Aldous Huxley écrit Le meilleur des mondes. Ce livre est considéré comme un roman d’anticipation dystopique. Le roman décrit une société imaginaire régie par un groupe dirigeant auquel il est presque impossible de se soustraire. Les humains y sont dépourvus de libre-arbitre et leur quotidien est contrôlé.
Il s’agit d’un futur hypothétique proche et déstabilisant.
b) Huxley et le rejet de Dieu
Profondément pacifiste, Huxley était un militant en faveur de la non-violence, de l’écologie et de la paix. Lorsqu’il écrit Le meilleur des mondes, l’écrivain est membre d’une union en faveur de la paix mondiale. Il apporte des idées novatrices sur le rôle de la science et de la technologie dans nos sociétés ainsi que sur le conformisme social qu’il trouve alarmant.
Son roman exprime l’importance qu’il accorde à la notion de libre-arbitre.
Le critique Milton Birnbaum précise qu’au début des années 30, Huxley est athée et empreint de cynisme mais, qu’il découvre progressivement le mysticisme et une nouvelle forme de religion. Il commence alors à croire que le divin existe, et que la seule façon d’y accéder est par la transcendance et l’accès à une sagesse immuable.
Aldous Huxley était persuadé que le sens de la vie reposait sur la croyance et la métaphysique. Néanmoins, il refusait l’idée que ses croyances soient influencées par un Dieu unique. En effet, l’existence de l’Éternel Dieu impose un système de valeur et des règles distinguant ce qui est bien de ce qui est mal. Huxley avait donc choisi de ne pas croire en Dieu en faisant usage de son propre libre-arbitre.
C’est cette liberté et ce libre-arbitre en lesquels il croit et qu’il place au centre de son roman Le meilleur des mondes. Le journaliste et économiste John Attarian affirme que le roman de Huxley est une mise en garde : l’écrivain y déplore un glissement de la société vers une existence utilitaire et sans âme. Cette existence serait contraire à la nature-même de l’être humain qui éprouve un besoin de liberté, de transcendance et qui a, surtout, besoin d’un but.
Dans le roman, Dieu est absent mais les humains sont malgré tout dépourvus de libre-arbitre : ils sont soumis à la technologie et vouent un culte à Ford. Certains humains vont tenter de sortir de ce cadre quasi-religieux pour aller à la rencontre de leur individualité et de leur liberté.
c) Utopie ou dystopie ?
L’utopie est considérée comme une vision politique ou sociale idéale qui ne tient pas compte de la réalité. La dystopie, elle, est souvent décrite comme une utopie ayant viré au cauchemar. Il s’agirait de la version sombre de l’utopie. Dans une dystopie, l’auteur, souhaite mettre en garde son lectorat quant à une croyance ou une action contemporaine qu’il considère problématique et dangereuse.
La différence entre un roman utopique et un roman dystopique provient principalement de l’intention de l’auteur quant à son texte et du message qu’il souhaite faire passer.
Dans un article publié en 2007, nommé « Everybody is happy now », Margaret Atwood note qu’Huxley s’attache à présenter tant la face positive que négative du monde qu’il a créé dans son roman. Certes, une société régie par les plaisirs simples et l’absence de problèmes est confortable, mais elle ne sera jamais suffisante – en témoigne le recours omniprésent à la drogue du bonheur pour oublier ses angoisses et insatisfactions –, mais, une vie libre mais pleine de souffrances n’est pas non plus optimale. Dans Le meilleur des mondes, l’humain est présenté dans toute son ambiguïté : il souhaite une vie dépourvue de soucis mais aspire aussi à plus que des plaisirs simples.
On retrouve ici le scénario du mythe de la Création : alors que Dieu avait créé un jardin d’Éden composé de plaisirs simples, l’humain a décidé d’enfreindre les règles pour accéder à plus de "profondeur", satisfaire sa curiosité, accéder à la connaissance et donc potentiellement à plus de pouvoir.
Comme le jardin créé par Dieu, la société créée par l’État mondial pourrait se rapprocher d’un monde utopique, néanmoins, en raison de la nature-même de l’humain, son désir de pouvoir et son éternelle insatisfaction, il se transforme en dystopie.
II. Un État mondial pour remplacer Dieu
a) Exercer un contrôle grâce à la technologie
Le roman de Huxley alerte sur les dangers de la vie dans une société où l’État et la technologie contrôlent nos actions et nos pensées.
Un exemple est l’encadrement des naissances et de la reproduction au-travers d’interventions médicales poussées et de stérilisations forcées. La nature des loisirs citoyens sont également soumis à un contrôle strict. L’État mondial utilise la technologie comme un moyen de créer un monde superficiel et heureux.
La notion de technologie est ici à distinguer de celle de la science. En effet, la science est incompatible avec le meilleur des mondes : elle promeut la pensée libre, l’expérimentation et les questionnements incessants, ce qui mènerait la société dépeinte dans Le meilleur des mondes à sa perte. Lorsque la technologie en elle-même est utile pour exercer un contrôle, la science, elle, est néfaste. C’est grâce à la technologie que l’État mondial dans Le meilleur des mondes censure la pensée libre et la science en tant que recherche de la vérité. La technologie est utilisée pour maintenir les humains dans un état de conscience superficiel et les dépourvoir de leur libre-arbitre.
Ce contrôle de la population pourrait provenir d’un désir de préservation et de protection, comme celui de l’Éternel Dieu lorsque celui-ci souhaitait préserver Adam et Ève du fruit de la connaissance et des souffrances du monde. En effet, après avoir placé l’homme dans le jardin d’Éden pour que celui-ci le cultive, « l’Éternel Dieu donna cet ordre à l’homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras », Ancien Testament « Le Pentateuque » Genèse 2 :16 et 2 :17.
Néanmoins, cet ordre divin n’en demeure pas moins une menace et une volonté de contrôler sa créature. On peut donc faire un parallèle entre l’action divine et la technologie : tous deux sont utilisés pour contrôler les hommes.
Pour aller plus loin, on pourrait faire le lien avec les discours des Lumières qui opposaient à l'époque "l'obscurantisme de l'Église" et les sciences, soit les lumières de la connaissance. Au XVIIIème, les religieux s'opposaient fortement à la science qu'ils percevaient comme dangereuse pour le maintien de la religion et la conservation de leurs fidèles. Les agissements de l'Église à l'égard de la science (à l'époque) sont donc comparables à ceux de l'État dans le roman de Huxley : il s'agit d'un comportement totalitaire.
Les Lumières ne sont pour autant pas à louer à mon sens car on en observe encore les méfaits aujourd'hui au niveau de la culture et de la spiritualité de certains peuples. Nous en parlerons dans une classe dédiée à l'appropriation culturelle.
b) La toute-puissance et la fabrication des hommes
Comme dans le roman dystopique 1984 de George Orwell, dans lequel un état tout-puissant exerce un contrôle sur les actions et comportements de ses citoyens dans le but de conserver son pouvoir, l’État mondial dans Le meilleur des mondes exerce une forme de surveillance. A l’image d’un Dieu, ces États totalitaires souhaitent maintenir les hommes dans un cadre de pensée et d’action.
Néanmoins, à la différence du gouvernement de 1984 qui exerce son contrôle via la surveillance et la violence, l’État du roman de Huxley exerce son contrôle en façonnant les humains selon son bon-vouloir avant même leur naissance.
Ce procédé est détaillé dès le premier chapitre du roman: « "Bokanovsky's Process," repeated the Director, and the students underlined the words in their little notebooks. One egg, one embryo, one adult-normality. But a bokanovskified egg will bud, will proliferate, will divide. From eight to ninety-six buds, and every bud will grow into a perfectly formed embryo, and every embryo into a full-sized adult. Making ninety-six human beings grow where only one grew before. Progress. ».
Il sera ajouté que ce procédé est le meilleur outil permettant d’assurer une certaine stabilité sociale.
A la manière du Dieu potier qui « forma l’homme de la poussière de la terre [et y] souffla dans ses narines un souffle de vie », Ancien Testament « Le Pentateuque » Genèse 2 :7, l’État mondial intervient médicalement sur les fœtus pour agir sur leur cerveau, leur morale et leurs émotions. L’État mondial utilise donc la technologie pour former l'humain et se prendre pour Dieu. De la même façon, il utilise la technologie pour maintenir un équilibre génétique au sein de sa population.
c) L’individualité : une menace pour Dieu et l’État mondial
Le concept d’individualité est très présent dans Le meilleur des mondes, comme il l’est également dans le mythe de la création biblique.
L’État mondial perçoit l’individualisme comme un concept incompatible avec sa vision d’une société stable et heureuse. En effet, la communauté doit prévaloir sur l’individu. La phrase : « Everyone belongs to everyone else » sera prononcée à plusieurs reprises dans le roman, par différents personnages. Toustes entendent par-là que rien n’est plus important que le collectif : aucune relation, en particulier sexuelle, ou émotion personnelle ne doit prévaloir sur une autre. Ce principe est aux fondements de la création d’un corps et d’un esprit commun. La communauté prévaut sur la personne.
Les contrôleurs de la société dépeinte par Huxley ont pour mission d’empêcher les hommes de développer un quelconque sens d’identité et d’individualité.
Également, la méthode Bokanovsky, par laquelle les fécondations in vitro sont contrôlées et les fœtus sont clonés, permet de maintenir ce sens communautaire. En effet, tous les humains du « meilleur des mondes » sont identiques physiquement. Ils sont donc plus enclins à envisager leur existence comme commune plutôt qu’individuelle.
Les personnages de Bernard, Helmholtz et John, qui se rebellent contre l’État mondial et le monde qu’il a créé, s’émancipent donc en prenant conscience de leurs individualités. Au début du chapitre six, Bernard dira à Lenina: « « I’d rather be myself », he said. « Myself and nasty. Not somebody else, however jolly » ». Il refuse d’altérer son identité en utilisant la drogue et en se mêlant au groupe. Pour lui, cela revient à se soumettre au contrôle exercé sur les humains par l’État mondial. Il souhaite donc s’en détacher pour trouver son individualité et sa liberté, quitte à mettre en péril la stabilité du collectif.
C’est par ce même procédé qu’Adam et Ève vont être émancipé-es par Dieu et quitter le jardin d’Éden. En effet, dans le jardin d’Éden, iels faisaient partie d’un écosystème stable et empli de bonheur. Les plaisirs étaient simples et leur existence harmonieuse et collective : tant en couple, qu’avec Dieu et les autres êtres vivants du jardin. C’est après avoir pris conscience de leur individualité grâce au fruit défendu qu’ils seront expulsés de l’Eden et qu’iels acquerront des prénoms : Adam et Ève. Auparavant, iels étaient simplement connu-es comme l’homme et la femme.
Dans le mythe de la Création, Dieu chasse Adam et Ève du jardin d’Éden car iels ont découvert la vérité sur le bien et le mal et ont découvert leur individualité. Dans Le meilleur des mondes, les humains sont également chassés du territoire principal et envoyés vers des îles où toutes les personnes ayant développé un sens de l’individualité séjournent. Un parallèle peut alors être fait entre le roman d’Huxley et le mythe de la Création : la prise de conscience individuelle constitue une menace pour les tout-puissants (Dieu et l’État mondial) et les personnes concernées doivent donc être écartées de la société lisse et parfaite.
III. La re-création d’un jardin d’Eden ?
a) La consommation comme source de plaisir
Les personnages présents dans Le meilleur des mondes tentent d’éviter à tout prix d’être confrontés à la vérité sur leur existence et sur la société dans laquelle ils évoluent.
La plupart utilisent une drogue pour rester à l’abris et préserver leurs illusions. C’est une démarche encouragée par l’État mondial. Celui-ci est convaincu que les humains seront plus heureux s’ils ne sont pas conscients de la vérité.
Ce bonheur repose sur une société de consommation. La consommation de drogues, de nourriture, de sexe, de vêtements et d’autres produits procure des pics de bonheur et d’une gratification immédiate.
Comme Adam et Ève dans le jardin d’Éden, les humains dans Le meilleur des mondes jouissent de plaisirs simples car leur seule préoccupation est d’apprécier les doux plaisirs de l’existence.
b) Éviter la vérité pour se préserver
L’idée du bonheur véhiculée par l’État mondial dans Le meilleur des mondes repose sur l’absence de souffrance émotionnelle, de la prise d’âge, de la mort, de maladies physiques ainsi qu’un accès à tout ce que l’on désire d’un point de vue matériel.
Cette idée du bonheur est similaire à celle proposée par Dieu dans son jardin d’Éden. En effet, Adam et Ève pouvaient consommer tout ce qu’ils souhaitaient – à part les fruits de l’arbre de la connaissance –, ils avaient accès à l’arbre de vie – les rendant donc immortels – et étaient heureux.
Dans le mythe de la Création comme dans Le meilleur des mondes, on accède au bonheur sous condition de renoncer à son individualité, à son libre-arbitre et à la connaissance. La plupart des humains en ont conscience et c’est pour cela qu’ils évitent à tout prix la vérité. On pourrait presque penser qu’ils veulent éviter de reproduire l’erreur faite par Adam et Ève au commencement. C’est d’ailleurs à cela que sert la drogue utilisée par tous : le soma. Lorsque Lenina et Henry, deux personnages du roman l’utilisent, il remarquent que « that second dose of soma had raised a quite impenetrable wall between the actual universe and their minds ». On comprend que la drogue, en plus de procurer du bonheur, sert également à anesthésier l’esprit et à éloigner les hommes de la réalité de leur existence. Elle les sauve de toute émotion négative : elle les préserve de la peur et des souffrances de l’existence.
Le personnage de Bernard refuse de quitter l’État mondial lorsqu’on le lui propose. Il est prêt à renoncer à son individualité et à la réalité du monde pour garder son confort matériel et la joie des plaisirs simples. Les personnages qui choisiront de se confronter à la vérité et de comprendre l’intégralité du monde comme Helmholtz et John n’y trouveront que souffrance émotionnelle. Helmholtz choisira la voie de la poésie et se rendra compte qu’il est impossible de créer un art beau et pertinent sans souffrance émotionnelle.
C’est ce que lui expliquera un des contrôleurs au début du chapitre 16 : le « meilleur des mondes » n’est pas un monde libre où toutes les émotions ont leur place. Seuls existent le bonheur et le plaisir. Il affirmera : « You can’t make tragedies without social instability ». Helmholtz finira donc par s’enfoncer dans le malheur pour pouvoir accéder à l’expression artistique.
John, lui, finira par se suicider. On peut aisément faire le parallèle avec le mythe de la Création et la parole de Dieu : « tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras », Ancien Testament « Le Pentateuque » Genèse 2:17. John, s’étant risqué à quitter l’État monde – la version moderne du jardin d’Éden –, connaîtra la mort.
c) Un monde parfait est-il possible sans Dieu ?
Dieu, tel qu’il existe dans la Bible, est absent du roman d’Huxley. Néanmoins, la religion n’est pas absente dans Le meilleur des mondes. Il s’agit simplement d’une religion différente de la nôtre. Les habitants de ce nouveau monde vouent un culte à Ford et à la technologie. L’Éternel Dieu a été remplacé par la technologie.
J'irais même plus loin en disant que ce sont certains humains qui "jouent à Dieu" en s'appuyant sur le pouvoir de la technologie. Et cela nous fait étrangement penser au monde actuel, ou en tout cas celui vers lequel nous pourrions nous diriger avec l'essor de l'intelligence artificielle, du metaverse etc.
La drogue soma est utilisée par les habitants pour accéder à un état de bonheur enivrant. Tous y sont dépendants pour éviter de sombrer dans le désespoir. La drogue leur permet d’atteindre une sorte de Nirvana, et donc de se rapprocher du bonheur divin. Grâce à la méthode Bokanovsky, chacun-e possède une place dans la communauté. La technologie leur sert à pallier l’absence de Dieu et à construire un monde stable où le bonheur règne et où tout a une place dédiée.
Le meilleur des mondes est donc la recréation du jardin d’Éden par l'humain, sans l’intervention de Dieu, mais avec à l’aide de la technologie.
Néanmoins, comme le jardin d’Éden divin, le meilleur des mondes est incomplet et ne parvient pas à maintenir tous les humains en son sein. Certain-es sont tenté-es de désobéir pour partir à la recherche de leur propre individualité, comme l’on fait Adam et Ève, et ce malgré les risques encourus. Serait-ce car l'être humain est voué à rechercher la liberté et s'affranchir des règles qui se superposent à celles de la Nature ?
En conclusion,
Vingt-six ans après avoir écrit Le meilleur des mondes, Huxley publiera Retour au meilleur des mondes (1958) dans lequel il analysera les prophéties faites dans la première version du roman. Il affirmera que celles-ci se réalisent beaucoup plus rapidement que ce qu’il avait prévu. L’auteur dira: « It is my belief that this reading is related to the dominant conflict hypothesis of our times, where science is seen to be engaged in a fight to the death with religion.».
Néanmoins, comme expliqué précédemment, les notions de science et de religion sont à distinguer. Huxley semble poursuivre la réflexion débutée au siècle des Lumières où la science était opposée à l’obscurantisme de la religion. Or, dans Le meilleur des mondes, science et religion monothéiste sont toutes deux mises de côté au profit de la technologie. On assiste en réalité à la création d’un monde nouveau avec sa propre religion. L’Éternel Dieu fait partie du passé. L’État mondial s’est néanmoins inspiré de son jardin d’Éden utopique pour créer la société du meilleur des mondes. Au lieu du pouvoir divin, c’est la technologie qui permet de créer une harmonie et une cohésion entre les humains et les autres composants de leur écosystème.
On peut donc penser que Le meilleur des mondes est un mythe de la Création modernisé dans lequel le Dieu potier tout-puissant est remplacé par la technologie et l’idéologie fordiste. Le pouvoir est détenu par une oligarchie toute-puissante. Celle-ci créée également les règles du monde et chasse celleux qui ne s'y conforment pas : à l'image du Dieu unique avec le jardin d'Éden. Comme pour le jardin d’Éden, le meilleur des mondes est composé de plaisirs simples mais encadrés. Le contrôle est omniprésent. Ce serait cela qui empêche certain-es de s'y épanouir pleinement : iels possédant une soif de liberté, d’individualité et de réflexion sur leur monde.
Bibliographie
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Posner Richard A, « Orwell versus Huxley : economics, technology, privacy and satire », 1999 https://chicagounbound.uchicago.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1355&context=law_and_economics
Ingalls Victoria et Saunders P. Judith, « Evolutionary science and literary design : teaching Huxley’s Brave New World in interdisciplinary collaboration », 2013 https://www.jstor.org/stable/10.5325/style.47.2.239
Schmerl Rudolf B, « The two future worlds of Aldous Huxley », 1962 https://www.jstor.org/stable/460493
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Atwood Margaret, « Everybody is happy now », The Guardian, 2007 https://www.theguardian.com/books/2007/nov/17/classics.margaretatwood
Attarian John, « Brave New World and the flight from god », 1996 https://theimaginativeconservative.org/2013/08/brave-new-world-and-the-flight-from-god.html
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