Pendant longtemps, j’ai eu la sensation que j’étais éclaté•e. Ou plutôt que nous, étions éclaté•es.
Trois, puis cinq, puis dix, puis vingt et près de trente entités à s’entrechoquer à l’intérieur. A s’entraider, discuter, se disputer, se trahir, et se cacher des choses. Au sein du même corps.
Je me suis dit qu’on était à l’étroit.
Mais dans le même temps, qu’on avait bien de la chance d’être ensemble car séparé•es, qui sait qui d’entre nous aurait survécu et ce que l’on serait devenu.
Le prénom choisi par nos parents ne correspondait pas à cet ensemble. On ne s’y reconnaissait pas, et il nous ramenait souvent à une identité qui ne collait pas à notre réalité.
Il plaquait sur notre existence leur vision et leur imaginaire de ce que l’on était, de ce qu’iels avaient espéré pour leur premier enfant. Il m’étouffait. Tantôt j’essayais désespérément de m’y conformer pour être aimée, et tantôt je le rejetais et tentais de le transformer, de le changer, de l’oublier. Je le triturais dans tous les sens, essayant de le rallonger, le raccourcir, mélanger les lettres, les syllabes et tout ce que je pouvais.
Adulte, des surnoms se sont dessinés. Toujours des variantes du prénom imposé.
Puis, Âme a fait son apparition. Sans réelle explication.
Ael s’est installé.e aux commandes. Et tout s’est fluidifié, avant d’exploser de nouveau.
Plusieurs choses avaient refait surface, et je réalisais que j’en avais en réalité plusieurs, des âmes.
Quelques années après, Âme a disparu. Ael a fusionné, transfusé ses souvenirs en plusieurs d’entre nous, et tout quitté.
Mais le prénom est resté. Coquille vide d’abord, il est resté, un temps, un masque. Puis, nous l’avons fait évoluer, pour nous regrouper. Appréhender différemment notre multiplicité.
Les paroles de la chanson de Left at London, “Will my alters go to heaven” raisonnaient en moi.
Des questions se bousculaient.
Que se passait-il à l’intérieur ?
Comment expliquer notre réalité ?
Est-ce qu’il existerait, un jour, un moyen pour nous de toustes exister, dans notre propre corps ?
Peut-être au-travers d’un multi-verse ou d’une technologie avancée ?
Après notre mort, que se passerait-il ?
Avions-nous même envie d’être séparé·es ?
Était-ce possible ?
Serions-nous toustes mélangé·es à la fin ?
Au fond, nous sommes la même personne.
Une personne multiple, avec un cerveau traumatisé, qui court-circuite lorsqu’il tente d’allumer toutes les zones qui nous composent en même temps. Un cerveau qui apprendra peut-être à gérer ces surcharges, à bâtir de nouveaux serveurs plus puissants, ou à atténuer les décharges causées par certains boutons, réparer certains circuits ou en construire de nouveaux pour disperser l’énergie.
Alors que j’étais Luna, j’ai eu un aperçu de notre monde intérieur, j’ai pu le voir dans sa quasi-entièreté et j’ai alors compris.
Âme, c’est moi. Âme, c’est nous.
Nous constituons, ensemble, une seule et même âme. Aux multiples facettes, aux multiples personnalités, identités et souvenirs. Mais un seul et même passé, et un avenir qui se construit, petit à petit.
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