- un jour, Pluton fut exclue...
projet littéraire Brume, [Bonjour Nuage]
On s’asseyait toujours sur le même banc.En haut de la colline aux pâquerettes.Ce vieux monsieur et moi.
J’arrivais chaque fois avant lui, je m’installais et regardais le ciel se réveiller. Il arrivait ensuite et s’asseyait pour lire son journal, rédigé dans une langue qui m’était inconnue. Peu de temps je me levai pour aller travailler.
On se retrouvait le soir.Je revenais une fois ma journée terminée, pour regarder le soleil se coucher. Il me rejoignait peu de temps après, un livre à la main. La couverture et les pages me semblaient, d’où j’étais, blanches, si bien qu’au début j’avais cru que c’était un carnet. Sauf qu’il n’écrivait pas dedans, il le lisait.
Au fur et à mesures de nos rencontres, un sorte de familiarité s’était créée. On se souriait quand on se voyait.
Je lui lançait des “bonjour” et “bonsoir” en fonction de l’heure qu’il était. Puis des “bonne journée” et “bonne soirée” quand je le quittais.
Il ne me répondait jamais. Mais cela m’allait.
Je m’étais demandé si il parlait une autre langue que moi. Puis j’avais décidé que je m’en fichais en réalité. De toute façons, de quoi aurait-on discuté ? Ni lui ni moi n’étions là pour échanger des banalités.
Nous étions là pour respirer.
Un soir, après une journée particulièrement chargée, je m’installai sur le banc de biais, enlevai mes chaussures, croisai mes jambes en tailleur, posai mon coude sur le dossier et mon menton dans ma paume, et m’endormis promptement, terrassée/écrasée par les événements que j’avais du affronter, dès l’instant où j’avais quitté la colline le matin-même.
Lorsque je ré-ouvris les yeux, le soleil finissait sa course et s’apprêtait à disparaître.
Le vieux monsieur était là, à droite du banc, comme à son habitude. Il contemplait l’horizon et ne m’adressa pas un regard lorsque je me redressai et remis mes chaussures.
Je n’avais pas envie de rentrer me coucher. Alors je décidai de rester un peu plus longtemps, pour voir, pour la première fois depuis ce point de vue, comment les étoiles s’installaient dans le ciel une fois la nuit tombée.
Honnêtement, je me demandai aussi à quelle heure mon compagnon quittait habituellement son assise.
Les trainées roses et orangées dans le ciel devenaient de moins en moins visibles à mesure que le soleil continuait son cercle pour aller se coucher dans le pays d’à côté. Les nuages pastels disparaissaient pour laisser place à une toile bleu-nuit.Sur celle-ci, des guirlandes lumineuses commençaient à s’allumer.
C’était un joli processus que je découvrais. Et, fasciné par ce nouveau tableau, je décidais de rester, un peu plus longtemps, pour l’admirer.
“Captivant n’est-ce pas ?”
Interloqué, je tournai la tête vers la droite. Mon voisin avait toujours le regard fixé vers le haut, mais j’étais certain qu’il avait parlé. Je n’osais pas répondre pour autant. Pour quelle raison, je ne saurais réellement le dire.
Alors que je le regardais, ne sachant réellement que faire, je le vis ouvrir la bouche : “Je me demande encore pourquoi elles n’ont pas choisi un autre système que le nôtre… Ou peut-être serait-ce l’inverse.”.
Ayant maintenant l’assurance que je ne répondrais pas dans le vide, j’éructais très éloquemment : “euh… pardon ?”.
-Les étoiles. Pourquoi diable avoir choisi ce système de Voie lactée comme une vulgaire A64 ?-euh… Comment ça ?
Il tourna la tête vers moi et plongea son regard dans le mien :
-Les étoiles, elles ont créé leur propre autoroute. Entre les planètes, les galaxies et les dimensions. Cela leur permet d’aller plus vite, et d’avoir des itinéraires plus sécurisés : pas de risque de se faire happer par une gravité inattendue ou un trou noir non-répertorié.
Complètement perdu devant ce déballage absurde, ma raison m’intimait de ne pas m’embarquer dans une discussion pareille, mais, allez savoir pourquoi, je répondis malgré tout :
-Mais… à quoi ça sert ? Pourquoi les étoiles devraient se déplacer comme ça ?-Par instinct de conservation tout simplement. Elles ont envie de rester vivantes comme vous et moi.
Devant mon regard vide, il poursuivit :
-Les étoiles brillent n’est-ce pas ?Elles se consument en permanence. Lorsqu’elles cessent de briller, elles meurent. Aucune ne veut mourir, elles tentent donc d’accumuler de la lumière par tous les moyens possibles, pour avoir des réserves et ne pas risquer de s’éteindre. C’est pour cela qu’elles se déplacent, elles partent à la recherche de lumière dans l’univers, de gaz rares et de métaux précieux qui pourront leur permettre d’alimenter leur feu intérieur et d’irradier toujours plus fort. Pour gagner du temps dans leurs quêtes, elles ont besoin d’emprunter des voies rapides.Regardez le ciel.
Je levais la tête. Ce que j’allais répondre restât coincé dans ma gorge.
La nuit s’était installée depuis le début de notre conversation, et l’on voyait maintenant comme un brouillard de traînées lumineuses en toile de fond, parsemé d’étoiles brillantes. Je comprenais maintenant pourquoi on l’appelait la Voie lactée. À certains endroits, les amas d’étoiles étaient tels qu’ils formaient des tâches… de lait.Il fallait reconnaître que la vue de cette colline était sublime.
“Embouteillages” expliqua laconiquement mon interlocuteur.
Il avait décidément un don pour faire disparaître toute magie et émerveillement en un seul mot celui-ci.
Ou peut-être était-ce le contraire…?Car j’éprouvais tout à coup une certaine fascination à imaginer les étoiles en train d’attendre leur tour pour passer dans une voie bouchée. Est-ce qu’elles s’insultaient et se klaxonnaient elles-aussi ?
-Parfois, elles s’en prennent même à d’autres étoiles plus faibles. Pour en obtenir.
Il me sortit une nouvelle fois de ma rêverie.
-Comment ça ?-Du lumens. De la lumière d’étoile. Certaines grosses étoiles absorbent des plus petites lorsque personne ne regarde. Enfin, disons que tout le monde ferme les yeux et laisse agir la loi de la plus forte. Il y a de l’exploitation aussi, par des coalitions d’étoiles puissantes. Ou des vols, mais là ce sont souvent les plus petites étoiles qui tentent de prendre leur revanche sur les massives comme elles peuvent, et de survivre surtout.
Le monde des étoiles me semblait tout d’un coup beaucoup moins féérique et fantastique.
Il me semblait brutal, et féroce. Pas du tout comme le nôtre…
-Pourquoi font-elles cela …? demandai-je alors d’une voix dépitée.
Il me regarda alors de nouveau pleinement. J’eu l’impression que son regard me transperçait au plus profond de mon âme. Qu’il me voyait, complètement.
Il souffla alors lentement :
-Qui sait… peut-être ont-elles pris exemple sur une des planètes habitées autour desquelles elles naviguent. De celle d’où je viens, les gens ont adopté un système similaire…
Sur ces paroles, il tourna la tête vers le ciel, et se remit à fixer les étoiles.
Je compris que notre discussion était terminée.
Pris d’une réflexion intense, je me mis aussi à la fixer.
Maintenant que je connaissais la vérité, je ne pouvais m’en détacher. J’étais absorbé.
Il me semblait voir les étoiles se déplacer et s’entrechoquer. Je ne pouvais m’empêcher alors de remarquer les plus petites, mises de côté, celles qui clignotaient, ou encore les autres, qui se détachaient en raison de leur intense luminosité. J’essayais de repérer les planètes voisines autour desquelles leurs routes semblaient s’enrouler.
Sans que je m’en aperçoive, le temps avait filé.
Le ciel s’éclaircissait, et la brillance des boules lumineuses s’estompaient au profit d’une bien plus large qui se levait dans mon dos sans que je l’ai remarqué.
Lorsque je sortis de ma torpeur, seules une poignées d’étoiles demeuraient fixées sur le ciel bleu nautique de l’aube.
Je regardai à ma droite. Le vieux monsieur parti. Mais le banc n’étais pas vide. Il y avait laissé, posé, son livre et son journal.
Sans grande hésitation, je m’en saisi et quittai les lieux à grandes enjambées.
J’avais envie de rentrer, de me pencher longuement sur cette soirée, mais aussi de les feuilleter. Découvrir le secret de ce carnet.
Je revins le lendemain matin.
Reposé, mais le crâne bourré de questions que j’avais hâte de lui poser. J’étais en retard. Je m’étais octroyé par accident une grasse matinée.
Pourtant, lorsque j’atteint le banc, il n’était toujours pas arrivé. Encore une fois, je serais le premier. Sauf que le banc n’était pas vide, il y avait quelqu’un d’assis, à gauche.
Un peu gêné, je décidai de m’asseoir à côté. Si mon … - je ne savais pas comment l’appeler en réalité -, arrivait, je pourrais me décaler pour lui laisser sa place.
Me voici donc, à droite de notre banc. J’attends.
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