J’ai eu une envie récemment : acheter un van dans lequel je pourrais vivre et parcourir l’Europe.
En en parlant à mon entourage, on m’a calmée et j’en suis arrivée à me dire qu’y passer quelques semaines en vacances serait déjà super sympa.
Il faut savoir que j’ai beaucoup de lubies, celle de la semaine dernière était d’ouvrir un nouveau concept de restauration dont je garderais le secret – juste au cas où j’y reviens un jour -
Quoiqu’il en soit, il existe une sorte de fascination autour des personnes mettant de côté leur foyer et profession lambda pour vivre leur rêve.
Néanmoins, malgré l’admiration et l’envie qu’ils suscitent, peu sont ceux leur emboitant le pas…
Alors oui, la raison principale est la peur de l’inconnu et celle de lâcher son petit confort, mais j’aimerais me pencher sur un autre aspect de la chose : le formatage.
Pour cela, j'aimerais prendre l'exemple des "Grandes Ecoles" et de leur finalité.
Intégrer une école, c'est entrer dans un microcosme presque imperméable à tout autre mode de vie ou de pensée.
Après l'euphorie de ma première année, j'ai commencé à ressentir un malaise sans pouvoir mettre le doigt sur sa cause. Je me suis progressivement détachée de cet environnement d'"Ecole" pour m'intéresser à moi et à ce qui m'entourait. J'ai mis du temps à comprendre qui j'étais et me connaitre, je ne suis d'ailleurs toujours pas arrivée au bout de cette quête.
J'ai alors réalisé que nous étions tous formatés.
Nous appartenons à un groupe voué à se scinder en deux : ceux prenant le chemin du marketing et ceux optant pour le conseil/audit/finance.
Les autres - car oui il y en a - ne sont que peu considérés par l'école, leur entourage et les étudiants eux-mêmes.
L'exception à cette règle sera bien sûr dans le cas où le déserteur connaitrait un succès notable avec son projet atypique.
Je trouve deux principales raisons à cela.
D’abord, il y a le regard des autres qui dénigre souvent ceux ayant choisi un chemin alternatif.
Un ingénieur partant faire du commerce sera mal vu, tout comme un financier se lançant dans l’artisanat ou un autre métier.
Si l’on décide de s’éloigner un peu du troupeau, on se prend un « Tu as fait Bac+5 pour ça ? » ou « C’est du gâchis » de la part de certaines personnes peu ouvertes. De la part de quelques cadres, c’est un mépris non dissimulé que l’on se prend dans les dents (mépris qu’on leur retourne par ailleurs avec joie lorsque l’on voit leurs préoccupations dans la vie). Je trouve cela plutôt ironique car ces personnes vendent une prestation intellectuelle bullshit pour pérenniser un système défaillant. C’est plutôt cela qui serait un gros gâchis de talent selon moi.
Le deuxième souci est le manque d’intégrité présent en chacun de nous.
Pour la plupart, nous clamons trouver dégueulasse certains aspects du capitalisme et son manque d’éthique. Étonnement pourtant, c’est tout guillerets que nous partons ensuite travailler pour des entreprises totalement inscrites dans ce système.
Tout le monde trouve cela normal ?
Avoir de cours de RSE et pleurnicher devant l’effondrement du Rana Plaza, mais vouloir malgré tout bosser pour Benetton ou Carrefour. Tout va bien ?
Grosse dissonance à mon sens.
Justement, c’est ce que l’on appelle le phénomène de dissonance cognitive.
Révélée il y a plus de 50 ans par Léon Festinger, cette théorie est un pilier de la psychologie sociale.
La dissonance cognitive, c’est modifier son opinion profonde pour être en accord avec ses actions.
Quid me direz-vous ?
Lorsque nous sommes amenés à agir contrairement à nos convictions, nous ressentons un véritable inconfort. Résultat ? Nous modifions subtilement et inconsciemment cette conviction plutôt que de faire l’effort de remettre en question notre action.
Par exemple et pour caricaturer :
je suis opposé(e) au travail des enfants mais j’achète de la Fast Fashion
j’adore et trouve les bébés animaux trop mignons mais, je mange du veau
je mange bio et j’achète local mais je bosse dans la grande distri
j’ai envie d’un job moins bullshit ou juste de me barrer mais ça me rend riche et on m’envie
et bien d’autres
Toutes ces actions se justifient dans notre esprit par un ensemble de raisons dictées par la société et nos croyances « culturelles » : je n’ai pas assez d’argent pour acheter des vêtements de meilleure qualité, la viande c’est « bon », je ne considère pas ce steak sous plastique comme une cause de pollution ou comme un ex être vivant, je dois bien faire de l’argent, lâcher son job et partir voyager c’est pour les hippies, étudier tout ce temps pour ne pas travailler en multinationale c’est ridicule, c’est différent etc etc.
Je ne dirais pas que ce sont des excuses mais presque…
Le degré d’engagement de la personne et son habilité à se détacher de ses croyances et de l’influence sociale sont directement corrélées à sa capacité à s’éveiller de la dissonance.
Selon les personnes, ça prend du temps...
Pour moi, ce phénomène est aujourd’hui bien ancré en raison de l'importance grandissante du consumérisme et du capitalisme dans notre quotidien. Ces influences vont à l’encontre de nos instincts humains et de nos convictions profondes, d’où cet inconfort permanent et cette dissonance que l’on retrouve en chacun d’entre nous.
Alors encore une fois, nous nous indignions de tout.
Nous avons tous envie de vivre nos rêves, mais confrontés à la société, nous retournons sagement dans notre trou.
Le plus désolant, c’est que l’on finit par se convaincre que c’est le bon choix. On s’épargne toutes les angoisses de la vie, on reste sur un chemin bien tracé et on s’en glorifie par la suite. Il n’y a aucun mérite à cela et cela confère en plus une vie bien vide de sens…
Et dans cette vacuité, le craquage surviendra, je le pense, tôt ou tard, de façon plus ou moins violente.
Je comprends mieux pourquoi une minorité grandissante d’entre nous décide de retourner à l’artisanat, devenir freelance ou créer sa boîte.
Il y a un besoin de revenir à du concret et de se détacher de ce monde dénué de sens et contredisant notre nature.
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